Documentation
Id6 place ces préoccupations au cœur de son activité et entend porter des solutions innovantes par le biais d’outils, de formations des professionnels ou de participation aux innovations pédagogiques.
L’expérience d’Id6 dans le domaine du Gameful Design éducatif a eu 10 ans en 2020.De nos premières réalisations, essentiellement basées sur du Serious Game, à nos travaux en cours, empruntant aux jeux vidéo leurs ressorts essentiels pour « gamifier » des parcours applicatifs, Id6 a enrichi son registre d’intervention dans des champs connexes tout en étant bien spécifiques : éducation formelle et non formelle, insertion socioprofessionnelle, orientation scolaire et professionnelle.
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Dans le champ éducatif, l’équipe d’Id6 a adressé la thématique de l’esprit d’entreprendre aux côtés des acteurs de la région Hauts-de-France en charge de sensibiliser les jeunes générations à ses multiples facettes. Le dispositif vidéoludique BACKSTAGE-GAME est né de cette collaboration multipartite (Région HDF, Académie de Lille, Haut Commissariat à la Jeunesse) : le jeu sérieux permet de découvrir toutes les composantes du montage de projet (humaine, managériale, comptable, juridique, etc.) ainsi que d’explorer l’écosystème de partenaires à la disposition des jeunes entrepreneurs (collectivités territoriales, UE, associations, etc.). Si Backstage-game vise avant tout à sensibiliser les jeunes entrepreneurs qui s’ignorent, LE PROJET SYRINX s’est, quant à lui, attaché à faciliter l’apprentissage de la démarche de projet auprès des lycéens et futurs techniciens supérieurs via une véritable expérience ludique articulée à des contenus modulaires, en ligne, d’apprentissage. Dans un univers plus mature, les jeunes sont littéralement captés par le jeu (d’après les retours de leurs professeurs ayant intégré Syrinx à leur enseignement) et ils s’approprient d’autant mieux les apprentissages qu’ils en retrouvent l’utilité et l’application concrète dans l’aventure proposée par le jeu vidéo.
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Sur le front délicat de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, Id6 a élaboré le dispositif vidéoludique SKILLPASS, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une recherche fondamentale financée par un programme régional de soutien à la recherche. Skillpass est un dispositif pédagogique basé sur un Serious Game et une application tutorée, permettant aux jeunes (NEET, décrocheurs, apprentis, en parcours d’insertion…) d’apprendre à identifier puis à valoriser les compétences qu’ils ont acquises dans divers champs d’expérience (vie familiale et sociale, loisirs, sport, vie scolaire, stages, petits boulots, apprentissage, etc.). Il s’exploite en collectif et fait alterner des phases de jeu et des temps d’échanges, « hors écran », facilitant la posture réflexive, le récit biographique et la production d’un support valorisant les compétences repérées par les jeunes (carte de compétences 1). L’outil Skillpass connaît des usages pluriels, différenciés selon les besoins et les profils des jeunes ; usages tantôt centrés sur son support final, à savoir la carte de compétences que les jeunes présentent à l’employeur en complément d’un CV, tantôt en amorce à une démarche réflexive favorisant la construction de choix d’orientation professionnelle (simili-bilan de compétences).
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Quant à l’épineuse question de l’orientation professionnelle, l’application-web Diagoriente, conçue par Id6 dans le cadre du programme Startup d’Etat et soutenue par la DGEFP, vise les jeunes en insertion inscrits dans le dispositif Garantie Jeunes et s’inscrit dans le programme d’accompagnement intensif en collectif proposé par les Missions Locales. Diagoriente permet à ces jeunes de mettre véritablement à profit les périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP) pour expérimenter des métiers susceptibles de les intéresser (perspective : formation en alternance). Pour ce faire, l’application déroule un parcours en plusieurs étapes interrogeant leurs expériences passées, leurs compétences transversales et leurs intérêts professionnels.
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Diagoriente est également partie prenante de l’expérimentation du SNU, qui a débuté à l'été 2019 et se poursuit dans des conditions adaptées à la situation de gestion de crise sanitaire en 2020. Retenue pour outiller cette phase de test, au plan national, l'équipe Diagoriente propose une version aménagée de l'application afin de pousser des pistes de missions d’intérêt général (en lieu et place des PMSMP du Diagoriente originel) sur la base d’une démarche vidéoludique facilitant l’auto-diagnostic de ses intérêts, affinités, compétences, etc.
Id6 occupe une position originale sur le marché des produits éducatifs numériques.
Tout d’abord, l’association ne produit pas seule ses produits (Serious Games, applications, plateformes et modules e-Learning…). Elle met en relation des communautés de pratiques et des champs de compétences afin de remplir son objectif dans une perspective d’intégration optimale de ses productions dans les pratiques des professionnels qu’elle outille. Concrètement, cela signifie que nos produits ne sont pas mis sur le marché après de simples tests d’usages et de débugage. Ils sont l’objet et le fruit de démarches expérimentales longues et attentives aux retours des publics-cibles, démarches qui aboutissent à des modifications parfois radicales. En outre, ces processus d’expérimentation sont spécifiquement accompagnés par les équipes d’Id6 qui s’engagent, par la formation, l’animation conjointe ou l’observation participative, aux côtés des structures et professionnels testant leurs produits. Singulièrement, le regard des collaborateurs d’Id6 combine les approches de l’ingénierie pédagogique, de l’ingénierie multimédia et de la sociologie pour produire une analyse fine des expérimentations suivies. Ces expertises conjuguées permettent de mieux comprendre les besoins, les attentes et les demandes des professionnels expérimentateurs. Elles contribuent également à formuler avec eux des pistes d’adaptations des outils comme de leurs usages faisant écho aux besoins des professionnels tout en prenant en compte ceux des jeunes ayant participé aux tests. Cette implication des équipes d’Id6 tient à une autre spécificité, en lien avec la première : c’est à la manière dont les professionnels s’approprient ou non le produit et la démarche pédagogique qui les sous-tend que sont attentives les équipes d’Id6. L’expérimentation d’un produit passe par l’expérimentation d’une formation audit produit, celle de l’usage sociotechnique, proposé ou adapté, de ce dernier et l’analyse des résultats de ces deux expérimentations des points de vue des professionnels-utilisateurs et des jeunes bénéficiaires. L’équipe se préoccupe au moins autant de la pertinence de l’usage pédagogique associé au produit que de l’utilisabilité du produit lui-même. Et ce pour la simple et bonne raison qu’aucun de ses produits ne s’utilise sans accompagnement humain, apporté par un professionnel formé à son usage.
Les équipes d’Id6 ne conçoivent donc pas des produits numériques pédagogiques désincarnés et décontextualisés. Elles élaborent des dispositifs pédagogiques adossés à des supports numériques à visée éducative. C’est une posture relativement unique dans les mondes de l’insertion, de l’éducation et de la jeunesse… Notamment parce que cette activité requiert des expertises poussées, du temps et un investissement considérable par rapport aux ressources qui peuvent en découler.
Notre première expérience en matière d'innovation pédagogique – Backstage-game – remonte à 2009. Elle a épousé le format des toutes premières "expérimentations sociales" d'un Haut Commissaire à la Jeunesse nommé Martin Hirsch. Appelant un renouvellement profond des pratiques de coopération multipartite (Etat, CT, associations), ce dispositif véhiculait deux exigences qui ont trouvé un écho immédiat dans les fondements même de notre engagement professionnel : consacrer un temps véritablement substantiel à l'expérimentation d'une solution imaginée à plusieurs, d'une part, et penser la généralisation de notre action si les résultats de celle-ci venaient à être évalués positivement, d'autre part.
En imposant un dispositif d'évaluation externe au projet expérimental, le Fonds d'Expérimentation pour la Jeunesse nous aura également incités à nous poser la question de l'évaluation des résultats et impacts de nos projets de manière à la fois plus structurée et plus systématique. Pour ce faire, nous avons fait appel aux très stimulants travaux des sociologues de l'innovation, aussi appelée sociologie de la traduction, emmenée par Bruno Latour et Michel Callon, ses deux plus illustres figures. Pour résumer, ces chercheurs ont élaboré un cadre d'analyse permettant de rendre intelligible le processus d'innovation en cours de déploiement en étudiant le tissage et l'évolution du réseau que constituent ses parties prenantes. Adapté pour l'évaluation et l'aide au pilotage, nous en avons extrait une grille de lecture des processus de coopération à l'œuvre sur le vif des projets d'innovation dont nous étions partie prenante. Ce nouveau regard nous a permis d'entrer avec une confiance avertie dans le monde l’innovation par la coopération européenne (programme européen Leonardo Da Vinci, action-clé transfert de l'innovation, notamment).
De cette incursion riche d’apprentissages multiples et variés, est ainsi née la première version du dispositif Skillpass, puis son adaptation aux besoins d’un public élargi d’usagers professionnels (insertion, éducation spécialisée, accompagnement psychosocial, etc.) et de jeunes bénéficiaires (en parcours d’insertion vers l’emploi, en situation de handicap, décrocheurs et à risques de marginalisation, etc.).
D’une nécessaire levée de fonds pour expérimenter à la reconnaissance des pairs
Une véritable démarche d’expérimentation nécessite des financements importants pour se déployer sereinement et, surtout, pour être suivie d’effets sur le plan des modifications à apporter au produit. Pour ce faire, l’équipe aura levé, sur cinq ans, près de 2 millions d’euros de fonds publics et privés, impliquant, au-delà de l’UE, des régions et des pouvoirs déconcentrés de l’Etat, un nombre certain de fondations bien connues (Orange, Caisse d’Épargne, Free, KPMG, EDF, Française des Telecom, Entreprendre…).
Si la reconnaissance était au bout du chemin – Skillpass a gagné des prix et trophées (dont celui des technologies éducatives au salon de l’Education Educatec Educatice) –, il a fallu plusieurs années pour arriver au bout d’un tel processus et produire un outil enfin adapté aux besoins et aux attentes de ses bénéficiaires finaux. En complément des retours d’expérience collectés en continu auprès des professionnels utilisateurs, les travaux du laboratoire Cirel de l’Université de Lille ont conforté la nécessaire évolution de l’outil dans une approche gameful design, simplifiée, modulaire et donnant davantage de liberté aux intervenants en termes d’accompagnement.
L’étude adossée à ce projet poursuit l’ambition de produire des connaissances relatives à l’influence d’une médiation vidéo-ludique(dispositif d’accompagnement intégrant un Serious Game) sur la compétence des publics en insertion à identifier leurs compétences (compétence transversale qui constitue une ressource majeure dans les processus d’insertion socioprofessionnelle) d’une part ; sur le renouvellement des pratiques et approches pédagogiques des intervenants (approches par compétences clés) d’autre part, ainsi que sur les compétences et leurs modes d’agencements. A cette fin, la recherche a porté sur 4 principaux objets en interaction :
- Le cadre prescrit par le dispositif sociotechnique ; Les pratiques d’accompagnement développées au sein du dispositif pédagogique (usages réels par les intervenants) ;
- Les usages du dispositif sociotechnique par les jeunes en insertion (sens attribué aux usages) ; Les compétences clés ciblées (développement et/ou évaluation-valorisation).
L’équipe de recherche pilotée par Olivier Las Vergnas : Frédérique Bros, Pierre André Caron, Julian Alvarez, Nacira Ait-Abdesselam, Annie Jézégou, Gilles Leclercq, Marie-Christine Vermelle, Marie Verspieren.
Notre expertise sur l'identification et la valorisation des compétences s'est développée avec la montée en visibilité qu'a connu la notion de compétence elle-même. Sensibles à l'évaluation de nos résultats, nous associons systématiquement de la mesure des acquis issus des actions menées. L'exigence affichée de l'Union Européenne pour une valorisation en bonne et due forme des résultats obtenus par les projets qu'elle finançait nous a poussés à investir cette problématique de manière plus approfondie.
Agissant dans le champ de l'éducation non formelle, nous nous sommes logiquement intéressés à la notion de compétence tant elle semblait adaptée à décrire des acquis que nous constations par et dans l'action en train de se faire.
A l'époque, nous tentions de valoriser plusieurs types de résultats :
- Les acquis des jeunes porteurs de projets participatifs au sein de leurs communautés,
- Ceux des jeunes issus de milieux défavorisés qui avaient accepté de partir en mobilité européenne collective ;
- Ceux des professionnels ayant utilisé, de manière novatrice à l’époque, la mobilité européenne comme vecteur d’insertion socioprofessionnelle.
Avec cette préoccupation, nous sommes entrés de plain-pied dans le monde surpeuplé des référentiels de compétences.
CHOISIR UN CADRE DE RÉFÉRENCE
C’est bien souvent le cadre institutionnel qui dirige les professionnels vers tel ou tel référentiel de compétences. Un centre social bénéficiant de fonds Erasmus+ travaillera autour des 8 compétences clés de l’UE pour délivrer un « youthpass » (2), un conseiller de Mission Locale utilisera la boîte à outils de la Garantie Jeunes (3), au lycée l’enseignant trouvera dans le socle de l’éducation nationale le périmètre du parcours avenir (4).
Ces trois situations sont révélatrices d’une actualité de la compétence aux contours nouveaux : identifier des compétences chez les jeunes dans le cadre d’un accompagnement social ou éducatif est devenu une activité à part entière. Exit les compétences « professionnelles », il s’agit là de s’intéresser aux « compétences transversales », « transverses », « clés », « de base », « soft skills »…. Il n’existe actuellement pas de définition univoque pour tous les acteurs qui ont tenté de définir cette notion. Cette variabilité d’appellation témoigne d’une véritable difficulté à stabiliser une approche commune.
De nombreux référentiels ou livrets de compétences s’adressent aux professionnels de l’insertion professionnelle, de l’éducation, de la formation, de la gestion des ressources humaines, etc. émanant d’institutions telles que la Commission Européenne, l’OCDE, les ministères, des partenaires sociaux ou d’acteurs de la société civile… Chacun traduit une certaine approche et des objectifs donnés : ici, certifier un socle d’acquis minimal pour l’emploi, là permettre d’évaluer les résultats d’une formation.
Pour valoriser leurs acquis compétenciels issus d’expériences d’apprentissages formelles, non formelles comme informelles, nous avions alors choisi de partir d’un référentiel suisse 3 conçu par une équipe de psychologues du travail et de sociologues, pilotée par Grégoire Evéquoz, sur la base de mises en situation collectives (Compétences-clés, OFPC, 2003). C’est la dimension inductive de cette démarche qui nous a séduits, bâtissant un cadre d’analyse à partir de temps d’observation sur le terrain. Toutefois, pour respecter les différences d’approches en la matière et la multitude de référentiels utilisés par les acteurs, le dispositif Skillpass permettait également de choisir le cadre de référence de son choix parmi une variété de référentiels existants voire d’intégrer son propre référentiel.
Plus tard, nous ferions la rencontre d’une démarche européenne portée par L’AEFA (Agenda Européen pour la Formation des Adultes) visant à pousser plus loin la démarche d’identification et de valorisation des compétences pour la rendre compatible avec les standards européens de reconnaissance des certifications et diplômes (le cadre CEC). Id6 devient alors partenaire du projet européen RECTEC et membre du groupe de travail « Compétences transversales » de l’AEFA.
LE PROJET EUROPÉEN RECTEC :
reconnaître les compétences transversales en lien avec l’employabilité et les certifications http://rectec.ac-versailles.fr/
RECTEC est un projet né en 2016 visant à favoriser l’employabilité par la reconnaissance des compétences transversales et leur mise en correspondance avec les certifications professionnelles. Porté par le GIP-FCIP1 de l’académie de Versailles, il regroupe des acteurs du champ de l’insertion et de la formation professionnelle de trois pays francophones : la Belgique, la France et le Luxembourg. Il répond aux besoins des professionnels de l’éducation-formation-certification et orientation de se doter d’outils d’évaluation gradués qualitativement et adossés au Cadre Européen des Certifications (CEC). Cette nécessité s’inscrit dans des principes de sécurisation des parcours professionnels, où un système gradué favorise une visualisation claire des positionnements et/ou progression de chacun. L’enjeu principal de RECTEC repose sur la création et l’utilisation d’un référentiel de compétences commun au système d’acteurs œuvrant pour l’insertion et la certification professionnelles. La graduation des compétences transversales par cercles permet de reconnaître des compétences partiellement maîtrisées et celles à développer pour atteindre les niveaux, 2, 3 ou 4 du CEC. L’élaboration du référentiel s’appuie sur les travaux de l’AEFA France (Agenda Européen pour la Formation des Adultes) ayant développé une démarche intégrée et distribuée des compétences du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) et des Compétences Clés. Un focus particulier est posé sur le développement des compétences dites « de base », nommées et intégrées au sein des compétences transversales. L’entrée par situations irrigue les logiques de progression, de manière à faciliter les liens entre expérience-activités-compétences et les auto-évaluations factuelles et guidées par les bénéficiaires finaux. Deux autres critères, explicités par le CEC, permettent de calibrer les compétences suivant le degré d’autonomie et de responsabilité correspondant à des activités et des emplois reliés aux quatre premiers niveaux du CEC.
Avec le numérique, la démarche n’est simplifiée qu’en apparence, il est facile de tomber dans le piège d’un processus automatisé sans intérêt en termes d’apprentissages.
CHOISIR UNE APPROCHE ET UNE MÉTHODE
Inutile de chercher à réinventer la roue en matière d’identification des compétences. Depuis plus de 20 ans des praticiens ont mis à disposition nombre de méthodes croisant les principes de la pédagogie active et de la psychologie.
Quelques éléments de base nous apparaissent essentiels pour une démarche avec des jeunes :
- La dimension collective et accompagnée dans la structure pédagogique ;
- L’approche située et contextualisée de la compétence (la compétence est liée à un contexte) ;
- La verbalisation de la compétence (explicitation) ;
- L’apprentissage de la méthode (métacognition).
Pour l’objet qui est le nôtre, à savoir permettre aux jeunes d’identifier et valoriser leurs acquis compétenciels, nous avons fait le choix d'emprunter une approche inductive : partir des expériences individuelles pour « remonter » vers le référentiel.
Cette approche passe par plusieurs étapes - biographie, analyse, récit, échanges entre pairs, etc. - que le numérique peut enrichir à condition d’avoir pensé, en amont, un scénario pédagogique centré sur l’apprenant. Toutefois, cette approche implique surtout l’intervention d’un praticien facilitateur formé à une méthode de questionnement particulière, i.e. l’entretien d’explicitation.
L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION :
Développée et formalisée par Vermeersch, cette méthode s’intéresse à l’activité effective en situation réelle et aux verbalisations provoquées a posteriori sur cette activité passée. Sa finalité est de décrire le vécu d’une action singulière dans une tâche réelle et spécifiée, c’est à dire une occurrence particulière de cette tâche. Ancrée dans l’expérience vécue, singulière et située dans un contexte donné, l’action passée peut être mise à jour par un échange permettant de comprendre comment son auteur a agi dans sa situation et l’aider à prendre conscience de ce qu’il a fait. Cette méthode de questionnement facilite l’auto- questionnement.
Au vu de nos précédentes expériences d’innovation (Skillpass notamment), le dispositif Startup d’Etat porté par la DINUM a constitué une opportunité exceptionnelle en bien des points. Cet incubateur a ainsi développé une méthode qui repose sur quelques convictions initiales solidement partagées :
- Régler des problèmes réels et mesurables ;
- Confier le sujet à un responsable complètement mobilisé par le problème ;
- Aménager l’autonomie de son équipe, lui permettre d’avancer rapidement et de pivoter tout aussi vite si besoin… ;
- Travailler en méthode agile autour des retours d’usagers réels ;
- Laisser les développeurs faire leurs propres choix technologiques ;
- Et surtout veiller à ce que seuls les résultats pilotent l’action, et non les moyens mis à disposition.
Sans la DINUM et cette méthode en rupture avec la logique de projet qui nous gouvernait depuis des années, jamais un produit tel que Diagoriente n’aurait pu voir le jour. Il aurait fallu des années de pérégrinations en tous sens ne serait-ce que pour permettre à une première mouture beta complète d’entrer en phase de test. Grâce à Beta.gouv et au coaching qu’il met à disposition des équipes de conception, il nous aura fallu 10 mois seulement dont un certain nombre consacré à l’exploration et à la mise au jour de notre problème. De même, jamais nous n’aurions eu la possibilité de pivoter comme nous l’avons fait au tout début de l’aventure, à mesure que nous sollicitions les retours des jeunes et des professionnels sur nos hypothèses de travail. Une phase exploratoire qui a modelé les usages fondamentaux de l’application en rendant intelligibles ses bénéfices pour les jeunes comme pour les professionnels. Sur ce point, Diagoriente doit également beaucoup à son ministère de tutelle – le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion – qui a soutenu l’équipe dans toutes ses initiatives et s’est parfaitement accommodé de la méthode Startup d’État. Nous avons franchi chaque round semestriel de présentation de nos résultats avec succès, fiers de la confiance que nous témoignait l’institution en nous permettant d’innover librement en son sein mais modestes devant l’ampleur du challenge que constitue l’orientation professionnelle de centaines de milliers de jeunes français.
Outre le soutien des pouvoirs publics qui nous ont aidé à monter une équipe solide autour de Diagoriente, nous avons pu compter sur la confiance et l’ouverture de nos partenaires de la première heure : les Missions Locales.
Grâce à leur coopération immédiate, une première maquette papier de Diagoriente a pu voir le jour et évoluer en un prototype digitalisé testable par les conseillers Garantie Jeunes. Nous avons également eu la possibilité de confirmer auprès de 1100 jeunes sur la première année que cette entrée par les compétences et leur valorisation constituait un atout exceptionnel pour construire de la légitimité et, par là-même, de l’engagement chez des jeunes, souvent fragilisés, qui ne parvenaient pas à se projeter sur le plan professionnel (92% des jeunes passés par Diagoriente ont identifié une ou plusieurs pistes d’orientation professionnelle à confirmer par des immersions). Cette année d’itérations avec les jeunes de ces trois Garanties Jeunes nous a également permis de déterminer quelle serait la forme vidéoludique idéale pour rendre accessible à tous les jeunes l’entrée par les compétences. Concept touffu et encore matière à débats, la compétence est sujette à une diversité d’interprétations dans le langage courant : aptitudes, qualités, traits de personnalité, savoir-faire…. Toutes ces notions se mélangent souvent dans l’esprit des jeunes, et ce, alors même qu’ils ont généralement été amenés à travailler précédemment cette question avec leurs accompagnants des Missions Locales ou équivalent.
Le jeu vidéo a constitué ici un support singulièrement facilitant pour partager une approche sensible et incarnée (par le jeu) de la compétence. Grâce à lui, nous avons pu faire passer les deux principaux messages et composantes du concept de compétence, à savoir :
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Le fait que la compétence repose sur la combinaison de différentes ressources mobilisées, associées et intégrées par l’individu : ressources internes (connaissances, capacités, habiletés, expérience) et externes (autres personnes, outils, documents, etc.) ;
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Le fait que cette mobilisation de ressources est spécifique à une situation donnée (« compétence située ») et qu’elle se donne pour but d’agir.
De même, jamais nous n’aurions eu la possibilité de pivoter comme nous l’avons fait au tout début de l’aventure, à mesure que nous sollicitions les retours des jeunes et des professionnels sur nos hypothèses de travail. Une phase exploratoire qui a modelé les usages fondamentaux de l’application en rendant intelligibles ses bénéfices pour les jeunes comme pour les professionnels. Le Game Design le plus adapté à véhiculer ce double message consistait en un exercice de simulation d’activité professionnelle bien connue du grand public. Les jeunes des Garanties Jeunes mobilisées dans l’expérimentation nous ont beaucoup aidés à choisir la situation professionnelle la plus familière et commune à l’appréhension de tous : celle d’un équipier de restauration rapide, chargé de préparer et d’encaisser les commandes des clients. Ils ont également choisi la forme et le gameplay du jeu, inspiré du très célèbre Cooking Fever ©. Ce détour par le jeu vidéo a été d’autant plus efficace pour rendre accessible la notion de compétences qu’il s’adressait à des jeunes parfois très jeunes (16 ans, ayant décroché en 3ème) et/ou très peu armés en termes de distanciation et d’abstraction réflexive. Séduite par ce résultat, la plupart des partenaires Missions Locales engagés dans l’expérimentation de Diagoriente ont même substitué notre outil à celui proposé par la Boîte à Outils nationale des Garantie Jeunes, à savoir la méthode québécoise des « compétences fortes » qu’ils utilisaient dans l’optique d’identifier les compétences des jeunes.
Enfin, cette année d’itérations continues a été cruciale pour saisir les attentes des jeunes concernés, le contexte d’usage de l’application à construire, ainsi que le périmètre des objectifs qu’elle devait initialement adresser.
L’orientation scolaire s’intéresse à la manière dont les individus tracent leur cheminement en matière de formation dans un système éducatif produisant des inégalités scolaires. Elle s’inscrit depuis les années 1990 dans le cadre d’une formation tout au long de la vie où chaque individu serait responsable de son orientation (active) après une période (scolarité obligatoire) durant laquelle il devrait acquérir et maîtriser la compétence lui permettant ultérieurement de choisir et de s’orienter. La question de l’insertion professionnelle est distincte, mais reste cependant sensiblement tributaire de celle de l’orientation scolaire. En réalité, les études sociologiques (Bourdieu & Passeron, 1970 ; Beaudelot & Establet, 1971 ; Dubet & Duru-Bellat, 2000 ; Van Zanten, 2000 ; Dubet, 2004) mettent toutes en évidence le mythe de l’égalité méritocratique des chances, et démontrent que l’orientation, convergente avec les performances scolaires, ne fait qu’entériner scolairement les inégalités socioculturelles des élèves. Dans l’Union européenne et plus généralement dans les pays de l’OCDE, la compétence au choix et à l’orientation figure désormais dans les compétences clés à maîtriser durant la scolarité obligatoire afin que chaque individu tout au long de sa vie soit capable d’analyser une situation, de faire le bilan de ses compétences, de mobiliser les ressources de formation afin de s’adapter et changer de métier ou de région. Si les politiques publiques entendent ainsi redonner le pouvoir aux individus en matière d’orientation de leur destin socioprofessionnel, encore faut-il que ces derniers se considèrent comme compétents, concernés et légitimes personnellement sur le sujet. C’est sur ces freins individuels que Diagoriente peut faire la différence en proposant une vision de l’orientation fondée sur une déclinaison du sociocognitivisme de Bandura. La théorie socio-cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle (TSCOSP) préconise en effet de développer l’agentivité personnelle dans le domaine des choix professionnels (Lent, 2008) ; proche de l’empowerment, cette démarche traduit la prise de conscience, institutionnelle, de l’aspiration croissante des individus à être en capacité de produire et de réguler les événements touchant à leur vie (Bernstein et al., 1994 ; Breton, 1994 ; Gutiérrez, 1994). De la TSCOSP, nous retenons des pistes très concrètes d’intervention axées sur ses notions clés : sentiment d’efficacité personnelle, attentes de résultats, niveau des buts fixés à lui-même par l’individu. Ses auteurs démontrent ainsi que toute personne fonde son sentiment d’efficacité personnelle et ses attentes de résultats, d’une part, sur sa perception de ses propres capacités, et d’autre part, sur son niveau de réussite atteint et sur les résultats qu’elle a obtenus dans le passé en conditions similaires. Plus le sentiment d’efficacité personnelle et les attentes de résultats positifs sont forts, plus les buts que l’individu se fixe sont ambitieux et encouragent eux-mêmes sa mobilisation ainsi que ses efforts pour atteindre le niveau de performance visé. Comme la théorie sociale cognitive générale, la TSCOSP postule l’existence d’une boucle de rétroaction qui met en relation les niveaux de performance atteints et les comportements futurs (Bandura, 1986). Les sentiments d’efficacité personnelle et les attentes de résultats qui émergent nourrissent à leur tour des intérêts et des buts éducatifs et professionnels qui tendent progressivement à se préciser et à se cristalliser à mesure que l’individu accroît ses connaissances relatives au soi (i.e. la connaissance de ses capacités personnelles, de ses intérêts, de ses valeurs) et ses connaissances des métiers (i.e. les capacités requises, les renforçateurs offerts). C’est ainsi que les aspirations professionnelles tendent à devenir progressivement de plus en plus stables et réalistes – c’est-à-dire congruentes avec les intérêts personnels, les capacités et les valeurs.
Cela dit, si ce modèle décrit les processus en jeu au niveau individuel, il importe de rappeler que les personnes développent leurs talents, leurs sentiments d’efficacité personnelle, leurs attentes de résultats et leurs buts dans un contexte social et culturel plus vaste. Ainsi les aspirations professionnelles des jeunes peuvent se voir restreintes soit parce que l’environnement social leur offre des possibilités limitées ou biaisées de réaliser des expériences susceptibles de développer des sentiments d’efficacité, soit parce qu’ils développent des sentiments d’efficacité ou des attentes de résultats professionnels non réalistes (surévaluation menant à l’échec versus sous-évaluation dévaluant les buts).
Au plan individuel, l’application propose au jeune utilisateur de faire le bilan de ses expériences (sports, loisirs, culture, vie sociale, familiale et même scolaire, petits boulots, etc.) pour les lire au prisme des compétences transversales (sur la base du référentiel RECTEC-AEFA) ; cette étape liminaire vise à agir positivement sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’individu ainsi qu’à revaloriser ses attentes de résultats dans une perspective de mobilisation et de légitimation des individus, propices à son pouvoir d’agir et de s’orienter en toute légitimité. Le processus d’auto-évaluation des compétences vise à produire une juste mesure des compétences mobilisées par les personnes, fournissant une base solide pour se projeter dans une réflexion sur les intérêts professionnels. Ce travail de valorisation des expériences individuelles et des compétences qui en résultent est, à notre sens, la clé de voûte d’une réflexion approfondie sur les intérêts professionnels dans la mesure où il met en évidence des forces et ressources individuelles jusqu’ici sous-exploitées, tout en mettant l’accent sur la situation d’apprentissage, à savoir l’expérience vécue, plutôt que sur une forme d’évaluation sommative décontextualisée (cf. le modèle de l’épreuve scolaire et la sanction de la note qui en découle).
GAMEFUL DESIGN ET GAMIFICATION DES SITUATIONS D’APPRENTISSAGE
Le Gameful Design renvoie à une option d’ingénierie pédagogique relativement récente impliquant l’incorporation d’éléments de gamification (intégrant des éléments et mécaniques du jeu au sein d’environnements non ludiques), d’une part, et le recours au Serious Game (articulation d’un scénario utilitaire et du jeu). La Gamification ou ludicisation repose, quant à elle, sur le transfert de mécaniques issues du jeu à des situations d’apprentissage. Elle puise sa force dans l’appétence des apprenants pour le jeu et favorise leur motivation à achever, d’une part, et performer, de l’autre.
Parmi les éléments de la gamification, on retrouve : système de points, classements, badges, etc. Ces éléments contribuent à créer une expérience engageante, dans laquelle l’apprenant est acteur de son parcours et construit petit à petit sa propre progression.
L’efficacité de la gamification est directement connectée à un système de catégorisation des profils de joueurs : la phase de préfiguration permet de mettre en exergue les profils concernés et par extension d’identifier les éléments de gamification à insérer dans le dispositif afin d’être au plus près des attentes des jeunes.
Concernant le recours au Serious Game, nous rappellerons la définition qu’en a proposé Julian Alvarez (Docteur en science de l’information et de la communication, chercheur), reprise par la plupart des développeurs multimédias : le Serious Game est « un logiciel qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo. La vocation d’un Serious Game est donc de « rendre attrayante la dimension sérieuse par une forme, une interaction, des règles et éventuellement des objectifs ludiques ». Un Serious Game est donc un outil utilisant des technologies dans l’intention spécifique de faire passer un message de manière attractive. Il vise à transmettre des contenus, faire découvrir ou acquérir des savoirs, savoir-faire variés (langues, sciences, écologie, histoire, économie, formations commerciales, etc.). Ces jeux possèdent de nombreux avantages dont « la possibilité d’apprendre à son rythme, l’adaptation du parcours à des utilisateurs de niveaux différents, l’augmentation du taux d’engagement dans l’activité d’apprentissage des apprenants […], et auraient des effets positifs sur la motivation et l’estime de soi » (CEREZO, 2012).