Au-delà de la pénibilité au travail, le sens qu’on y met
En dépit des difficultés inhérentes au métier qu’on a choisi, le sentiment d’être utile dans son travail permet souvent de s’épanouir. Récits avec des choix professionnels qui exigent des conditions particulières, mais sont indispensables pour la société.
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Maya est sage-femme. Elle travaille depuis deux ans dans un hôpital parisien et reconnaît que ce n’est pas facile tous les jours : « La pénibilité elle est dans l’organisation des gardes. Ce sont des gardes de douze heures consécutives, qui sont de jour, de nuit, les week-ends, les jours fériés. Dans la charge du travail, il y a une pénibilité de par ces horaires. Quand on sort d’une garde, on est épuisé physiquement et mentalement. »
Des difficultés que vit aussi Antoine, boulanger en Haute-Loire. « Je suis au travail à deux heures du matin et jusqu’à onze heures environ », explique-t-il, « donc pour les horaires il y a une forme de pénibilité. Il y a aussi l’humidité, la farine qui peut poser des problèmes allergiques à long terme. On essaye de limiter les projections de farine, de faire gaffe aux aérations, au matériel. Et puis la chaleur du four à pain. Ça peut monter à 50°, 60°, voire plus. »
Mais en dépit de ces efforts demandés, les deux trouvent beaucoup de sens dans leur travail. « Quand on se lève à deux heures du matin, on sait pourquoi on se lève. On se lève pour avoir un magasin rempli à sept heures, avoir des clients qui ont leur croissant le matin, qui attaquent la journée avec un bon petit déjeuner, du bon pain. Quand on voit les clients qui viennent nous voir et qui nous disent « votre pain est super » ou une personne qui m’a commandé dix pains que je venais d’inventer, c’est valorisant », témoigne ainsi Antoine qui a fait un bac pro et un CAP en boulangerie avant de continuer ses études avec un brevet professionnel dans le même domaine.
Maya, de son côté, affirme qu’elle ne pouvait pas faire un métier derrière un ordinateur, loin du contact humain qu’elle vit tous les jours. Elle dit aussi qu’elle a bien conscience de l’utilité des sages-femmes : « On sait que ça ne marcherait pas sans nous. Les patientes ne pourraient pas accoucher toutes seules. On est là pour les accompagner, on est là d’un point de vue médical, psychologique, social. Tout à la fois. »
Mettre du sens
Des témoignages qui n’étonnent pas Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au CNRS et autrice de La comédie humaine du travail aux éditions Érès. « Il y a une énorme capacité des salariés et des agents de la fonction publique à investir leur travail de sens et d'essayer d'y mettre de la beauté. » Pour elle, les choses commencent à changer et deux modèles se précisent de plus en plus dans un certain face-à-face : « Il y a un besoin de travail vertueux qui commence à se manifester et qui devient une préoccupation. Avant c'était plutôt de faire du bon travail, mais là c'est une autre vision, qui va plus loin, qui se pose la question de la responsabilité. Des questions plus morales et plus éthiques qui combattent une évolution managériale qui veut au contraire imposer une notion narcissique dans le travail. »
Antoine raconte que dans son collège certains professeurs ne l’encourageaient pas à prendre la voie d’un métier manuel, souvent moins bien vu qu’un métier intellectuel. « On a l’impression qu’on a une routine, mais ce n’est pas vrai. On doit s’adapter à la farine, aux conditions météorologiques, à nos sens… Il faut une certaine intelligence pour faire le métier de boulanger. »
Pour Danièle Linhart, le problème de la pénibilité est finalement davantage dans les choix managériaux que dans les difficultés inhérentes au métier. « Est pénible ce qui n'est pas justifié par le sens du travail, sa finalité sociale et les règles du métier. Mais qui peut être lié aux impératifs de la direction qui veut imposer des horaires pour des raisons uniquement de rentabilité à court terme par exemple, mais pas en fonction des besoins réels du métier. ». De fait, pour Maya, c’est là où la pénibilité est la plus importante : « En ce moment on est en manque d’effectif, on nous demande des gardes supplémentaires tous les jours, donc c’est une charge en plus, on ne peut pas laisser nos collègues toutes seules. Plus on le fait, plus on s’épuise, plus on s'épuise, plus on est en arrêt de travail et plus on demande des renforts, donc c’est un cercle vicieux. »
Heureusement pour elle, il y a un esprit d’équipe qu’elle dit admirable et qui lui permet de tenir malgré ces conditions difficiles. « On les accepte à partir du moment où on voit l'utilité de son travail. Les gens sont capables d'assumer beaucoup de difficultés parce qu'ils ont une vision noble de leur travail », assure Danièle Linhart et d’ajouter : « Le Covid a montré la vulnérabilité de l'humanité, donc la nécessité de lire la réalité à travers un prisme différent. Qu'est-ce qui est vraiment important dans la vie ? Et non pas de se laisser bercer par l'idée de carrière qui consiste uniquement de passer d'un échelon à un autre, de voir augmenter son salaire, ses primes, ses responsabilités. »
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